Dérivation provisoire d’un cours d’eau

Type de contenu

Définition et objectif

La dérivation provisoire d’un cours d’eau en phase chantier consiste à modifier temporairement ses modalités d’écoulement afin de permettre aux entreprises de travailler « à sec » au droit du lit définitif (existant ou à recréer) et de limiter l’impact des travaux sur la qualité de l’eau. Ces travaux modifient temporairement le profil en long et en travers du cours d’eau et peuvent  être visés par la rubrique 3.1.2.0. de l’article R. 214-1 du Code de l’environnement : 

  • 3. 1. 2. 0. Installations, ouvrages, travaux ou activités conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau.

Selon les modalités de réalisation des dérivations provisoires des cours d’eau, d’autres rubriques peuvent également être visées dès lors que des frayères sont impactées ou que des IOTA supplémentaires s’avèrent nécessaires (protections de berges, remblais en lit majeur, …) :

  • 3. 1. 4. 0. Consolidation ou protection des berges, à l'exclusion des canaux artificiels, par des techniques autres que végétales vivantes ;
     
  • 3. 1. 5. 0. Installations, ouvrages, travaux ou activités, dans le lit mineur d'un cours d'eau, étant de nature à détruire les frayères, les zones de croissance ou les zones d'alimentation de la faune piscicole, des crustacés et des batraciens , ou dans le lit majeur d'un cours d'eau, étant de nature à détruire les frayères de brochet ;
     
  • 3. 2. 2. 0. Installations, ouvrages, remblais dans le lit majeur d'un cours d'eau.


Prescriptions recommandées lors de la conception du projet

Lors de la conception du projet et de la rédaction du dossier de demande d’autorisation ou de déclaration au titre de la Loi sur l’eau, il est recommandé de : 

  • Présenter la liste des cours d’eau concernés de manière exhaustive ;
  • Présenter le régime hydrologique du cours d’eau au droit du site et les modalités d’évaluation (jaugeages, station hydrométrique, etc.) ;
  • Présenter les enjeux écologiques associés à ces cours d’eau et les enjeux de protection de biens et de personnes ;
  • Préciser les objectifs à respecter pour chaque cours d’eau, au cas par cas ;
  • Définir le niveau d’exigence de la dérivation provisoire par type de cours d’eau, en fonction de la durée du chantier, des enjeux écologiques et des risques hydrauliques associés ; 
  • Décrire précisément les modalités de dérivation provisoire des cours d’eau (dimensionnement, phasage chantier, linéaire dérivé, principes de réalisation, mesures de réduction associées, etc.).

 

Nature des dérivations provisoires

Le niveau d’exigence sur les conditions de réalisation de ces dérivations à mettre en œuvre en phase chantier doit être d’autant plus élevé que le chantier s’étend sur plusieurs mois et que les cours d’eau dérivés présentent de forts enjeux hydrauliques et/ou écologiques.

On distingue trois grands types de techniques envisageables pour dériver provisoirement un cours d’eau :

Technique Caractéristiques

Création d’un lit provisoire avec écoulement superficiel de l’eau
Plutôt adapté aux chantiers de longue durée (quelques jours à plusieurs mois) et/ou aux cours d’eau pour lesquels il importe de maintenir absolument la circulation des espèces inféodées aux milieux aquatiques pendant la période de réalisation des travaux
Création d’un passage provisoire busé

Plutôt adapté aux chantiers de courte à moyenne durée (de quelques jours à quelques semaines) 

⚠ Cette technique ne peut être proposée lors des périodes de migration ou de fraie ou sur les cours d’eau présentant des enjeux forts de continuité écologique.

Pompage de l’eau en amont immédiat du chantier, transfert le long de la berge dans une canalisation et restitution en aval

Plutôt adapté aux chantiers de très courte durée (généralement un à deux jours) et de faible linéaire, compte tenu des difficultés rencontrées pour adapter le débit de pompage au débit naturel des cours d’eau.

⚠ Cette technique n’est pas adaptée aux cours d’eau présentant des enjeux forts de continuité écologique.

 

Le maître d’ouvrage doit au préalable préciser les objectifs à respecter pour chaque cours d’eau, au cas par cas. À titre d’exemple, la dérivation provisoire doit : 

  • uniquement maintenir un débit à l’aval (dans le cas de cours d’eau n’accueillant pas de poissons ou autres groupes d’espèces inféodées aux milieux aquatiques par exemple). Il importe dans ce cas de connaître a minima l’ordre de grandeur des débits à la période de réalisation du chantier ; 
     
  • être franchissable par les poissons et/ou par d’autres espèces aquatiques ou semi-aquatiques (cf. article 6 de l’APG 3.1.2.0. ; le maître d’ouvrage doit alors préciser les espèces piscicoles concernées, si la circulation des individus doit être assurée en permanence ou à certaines périodes de l’année uniquement, de l’amont vers l’aval, de l’aval vers l’amont ou les deux) ;
     
  • être accueillante pour les poissons et/ou pour d’autres espèces aquatiques ou semi-aquatiques (cf. article 6 de l’APG 3.1.2.0. ; si la dérivation provisoire est bien conçue, les habitats ainsi recréés au sein du lit provisoire peuvent être rapidement recolonisés par des espèces aquatiques et semi-aquatiques. Il importe en fin de chantier de les récupérer et de les réimplanter dans un milieu tout aussi favorable).
     

Modalités de dimensionnement et d’équipement

Création d’un lit provisoire avec écoulement superficiel de l’eau (Figure ci-dessous : schémas de principe d’une dérivation provisoire)

Schémas de principe d'une dérivation provisoire
 

Exemples de prescriptions  :

  • calage de la pente, de la sinuosité, de la section hydraulique, du profil en travers et de la rugosité de la dérivation provisoire au regard des conditions morphologiques naturelles du tronçon de cours d’eau dérivé. À titre d’exemples :
    • dimensionnement de la section hydraulique de la dérivation provisoire en fonction du débit de plein bord des cours d’eau (compris entre Q1 et Q2 selon les cas) ;
    • calage de la forme du profil en travers provisoire en fonction de celle du lit naturel du cours d’eau : la largeur du lit provisoire avant débordement et la hauteur de berge doivent correspondre à la largeur et à la hauteur moyenne du lit mineur naturel du cours d’eau (ou lit à débit de plein bord). Le fond du lit doit avoir une forme en « V » ou en « U » afin de concentrer les écoulements ;
  • éloignement des lits provisoires à une distance « suffisante et justifiée » des bassins de décantation (ou autres dispositifs de traitement provisoire ou définitif des eaux de ruissellement), ceci afin d’éviter toute contamination des eaux ou fragilisation voire rupture des digues, des berges, etc. À titre indicatif, l'APG relatif à la création de plans d'eau (rubrique 3.2.3.0. de la nomenclature « loi sur l’eau ») fixe à 10 mètres la distance minimale à respecter entre les cours d'eau et les plans d'eau ;
  • maintien de l’ombrage par préservation de la ripisylve au droit de la dérivation provisoire (ou au moins le long d’une des deux berges), le chemin d’accès pouvant être réalisé sur la rive la plus ensoleillée.
     
N.B. : Lorsque les dérivations provisoires sont situées au droit de futures dérivations définitives ou que le chantier s'étale dans le temps (> quelques jours), il importe d’être encore plus vigilant sur le respect des conditions morphologiques naturelles du cours d’eau (pente, sinuosité, section hydraulique, …).

Des erreurs de dimensionnement de la section hydraulique des lits provisoires peuvent survenir sur les chantiers : 

  • un sous-dimensionnement des lits provisoires par rapport aux lits naturels des cours d’eau, lié à un manque d’emprise foncière et/ou au calage des sections hydrauliques par rapport aux débits d’étiage (QMNA5). Le maître d’ouvrage doit alors, a minima, redimensionner les sections hydrauliques au regard des dimensions du lit mineur naturel des cours d’eau dérivés (et non du lit d’étiage), et pour lequel le débit de référence correspond au débit de plein bord (variant selon les cas entre Q1 et Q2) ;
  • un surdimensionnement des lits provisoires par rapport aux lits naturels des cours d’eau, lié à l’utilisation de débits de référence très nettement supérieurs au débit de plein bord (tels que Q10 ou Q100) ou au calage de la largeur au fond des lits provisoires en fonction de la largeur du lit mineur avant débordement. Cela crée des « fossés antichars » dans lesquels les écoulements superficiels s’étalent ou se perdent. Plusieurs techniques sont possibles afin de corriger ces erreurs : ré-engravement du lit provisoire, création de lits emboités au sein même des lits provisoires surdimensionnés, par déblai/ remblai des berges, etc.

Il est important de limiter autant que possible les processus d’érosion, le réchauffement de l’eau et les blooms algaux, par :

  • recharge granulométrique du lit provisoire à l’aide du substrat naturel du cours d’eau récupéré dans le tronçon dérivé ou à l’aide de matériaux importés dont la nature géologique et la gamme de taille est similaire au substrat naturel. Ceci recrée des écoulements hyporhéiques qui régulent la température de l’eau et réactivent la fonction d’autoépuration du cours d’eau ;
  • protection contre l’érosion du fond du lit provisoire et de ses berges, par dissipation de l’énergie hydraulique (à l’aide de blocs ou de souches en quinconce au sein même du lit provisoire), mise en place de géotextiles ou bionattes sur les berges, dé-talutage des berges (ou création de lits emboîtés), etc. ;
  • protection contre l’érosion des points de raccordement amont et aval des lits provisoires avec les tronçons naturels des cours d’eau.
     
Création d’un passage provisoire busé

Comme pour les franchissements provisoires, les buses provisoires doivent pouvoir absorber des débits de crue sans créer de désordres hydromorphologiques (mise en charge, débordement, érosions latérales et verticales). À cette fin, il importe de dimensionner la largeur et la section des buses provisoires en fonction des risques hydrauliques potentiels, ces derniers pouvant être estimés au regard de la période de réalisation des travaux, de la durée du chantier et des débits de crue rencontrés à cette période.

À défaut, le choix des buses provisoires en fonction de la largeur du lit mouillé le jour de la pose ne saurait être satisfaisant. Il est plutôt conseillé d’utiliser des buses dont le diamètre ou la section hydraulique sont au moins similaires à la largeur ou à la section hydraulique moyenne du lit mineur naturel du cours d’eau.
 

Pompage de l’eau en amont immédiat du chantier, transfert le long de la berge dans une canalisation et restitution en aval

Les débits de pompage sont parfois fixés en fonction du modèle de la crépine et indépendamment des conditions hydrauliques. Cela peut engendrer des désordres hydrauliques notables au niveau du tronçon en amont de la dérivation, par débordements (débit de pompage < débit du cours d’eau) ou assecs (débit de pompage > débit du cours d’eau). Aussi, une surveillance continue de la crépine et une adaptation de son débit aux conditions hydrauliques du cours d’eau doit être prévue. Une personne doit être spécifiquement dédiée à la surveillance de ce dispositif pendant toute la durée des travaux.

En outre, les crépines sont souvent posées directement sur le fond du lit du cours d’eau, sans aucune protection. Le maître d’ouvrage (dans son dossier) et les maîtres d'œuvre et entreprises sur le terrain doivent prévoir de protéger la crépine, notamment à l’aide d’un puisard.
 

Modalités de raccordement, de mise en eau puis de démantèlement

Outre les lits provisoires, les points de raccordement amont/aval des dérivations provisoires avec le lit naturel des cours d’eau peuvent être sujets à de fortes érosions. Selon leur origine, ces érosions peuvent être limitées avec des techniques différentes, dont à titre d’exemples : 

  • rattrapage de la pente naturelle du cours d’eau par la création de méandres ;
  • limitation des érosions verticales et latérales par dé-talutage des berges (ou création de lits emboîtés) ;
  • mise en place de dispositifs de protection des berges et de dissipation de l’énergie hydraulique au droit des rejets aval. 

La création de seuils ou de rampes, même temporaires, au droit des lits provisoires est vivement déconseillée, ces derniers créant des points durs à partir desquels des processus d’érosion progressive et des chutes se mettent en place. Les batardeaux doivent être réalisés à l’aide de matériaux stables, au pH neutre et dégageant le moins possible de MES : batardeau « guillotine », palplanches, sacs de lestage, etc.

Le maître d’ouvrage doit prévoir d’effectuer les travaux en dehors des périodes :

  • de hautes-eaux où les conditions hydrodynamiques peuvent générer des départs massifs de MES ;
  • de forte sensibilité des espèces aquatiques (reproduction, éclosion).

Dans ce cadre, la période d’étiage est souvent proposée « par défaut », car cela facilite surtout la gestion des eaux du chantier par les entreprises. Mais ce n’est pas forcément une période adaptée à la faune aquatique, celle-ci étant d’ores et déjà fragilisée par la réduction de la surface en habitats disponibles, la concentration des polluants, le réchauffement et la désoxygénation des eaux, etc. Aussi, la période de réalisation des travaux doit être fixée au cas par cas, selon les conditions du milieu et les besoins physiologiques des espèces aquatiques présentes.

La mise en eau des dérivations provisoires doit être effectuée de manière très progressive
(figure ci-dessous). Les risques majeurs à éviter sont l’interruption des écoulements à l’aval, le départ massif de MES et des pertes hydrauliques au sein de la dérivation provisoire.

Exemple d’étapes de réalisation d’une dérivation provisoire via la création d’un lit provisoire sur cours d’eau présentant de faibles vitesses d’écoulement

La mise en eau des ouvrages définitifs doit suivre les mêmes principes et précautions que pour les dérivations provisoires (figure ci-dessous). Une vigilance accrue est demandée pour les dérivations provisoires ayant été suffisamment longtemps en eau pour être colonisée par la faune et la flore. Le maître d’ouvrage doit prévoir de :

  • procéder par étapes en faisant basculer très progressivement les eaux de la dérivation provisoire vers les ouvrages définitifs (en plusieurs fois, sur plusieurs jours en fonction des débits et couplé avec la pêche de sauvegarde adaptée en fonction des espèces cibles) ;
  • vérifier l’étanchéité des dérivations et ouvrages hydrauliques définitifs avant de basculer complètement les eaux du provisoire vers le définitif. En cas de pertes hydrauliques, il doit les corriger (à l’aide de bouchons d’argiles, de bentonite dans le substrat, etc.).

Exemple d’étapes de démantèlement d’une dérivation provisoire
 

Modalité d’entretien et de suivi

Après chaque épisode pluvieux, inspecter les dérivations provisoires (ainsi que les ouvrages de franchissement provisoires des cours d’eau et des dispositifs de lutte contre l’érosion et de traitement provisoire des eaux de ruissellement)  afin de vérifier l’absence d’encombres et de phénomènes d’érosion, ainsi que la stabilité des berges, etc. Cette inspection doit être prévue dans le « plan environnemental ». Si, suite à l’inspection, des réparations sont nécessaires, celles-ci doivent être effectuées immédiatement après l’inspection afin d’éviter toute aggravation de la situation. Démanteler la dérivation à la fin du chantier et remettre en état le milieu (berges, ripisylves, voir le fond du lit du cours d’eau) dès l’ouvrage enlevé.