Prise en compte des avis, recommandations et expertises sur les mesures de compensation
Afin de juger du caractère suffisant et approprié des mesures ERC, le juge peut se fonder sur les avis administratifs et les expertises qui lui sont remises par les parties. L’importance de ces pièces apparaît particulièrement dans le cadre de l’appréciation par le juge de la qualité des mesures de compensation.
Décisions des cours administratives d'appel
Le projet entraînant la destruction d’habitats d’espèces protégées, quatre mesures de compensation ont été prévues :
- une réouverture d'anciens milieux ouverts actuellement embroussaillés sur 20 hectares,
- un aménagement écologique des zones débroussaillées sur 10 hectares,
- un aménagement de cultures faunistiques sur 2 hectares,
- une veille sur la possibilité de pâturage.
Ces mesures ont reçu des avis favorables sous réserves de la DREAL et du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), et un avis défavorable du CNPN s’agissant en particulier du Glaïeul douteux. La société a fait réaliser un addendum au dossier de dérogation concernant le Glaïeul douteux, ayant donné lieu à un nouvel avis favorable du CNPN. Toutefois, il ressort de cet addendum que la société a, dans le cadre de cette nouvelle étude, décidé de modifier les mesures de compensation initialement envisagées, en diminuant les surfaces prévues de 20 hectares à 9 hectares pour la première mesure de compensation et de 10 hectares à 6,5 hectares pour la deuxième mesure de compensation, sans que ces réductions de surface n'aient donné lieu à analyse ou avis favorable de la DREAL ou du CNPN, qui n'étaient alors ressaisis que sur la question du Glaïeul douteux.
En outre, la DREAL n’a pu se déplacer sur l'ensemble des sites retenus pour les mesures de compensation, le dossier de dérogation se contente de décrire de manière générale les sites retenus et il n'existe aucune étude naturaliste précise et détaillée de ces sites, de leur caractéristiques et compositions, et donc aucune certitude quant à la possibilité pour chaque site d'offrir les bénéfices allégués pour chacune des espèces en cause. Il n'est donc pas démontré que les habitats des espèces au sein de leurs aires de répartition demeureraient stables ou en extension, que la structure et les fonctions spécifiques nécessaires au maintien à long terme des habitats existeraient et seraient susceptibles de perdurer, ou encore que l'aire de répartition naturelle de chaque espèce ne diminuerait pas. La réduction des surfaces des parcelles offertes en compensation, qui n'a pas été évaluée par la DREAL et le CNPN et l'absence d'étude précise de ces parcelles, ne peuvent donc permettre d'établir que la conservation des espèces et des habitats dans leurs aires de répartition naturelle sera favorable.
Le juge retient qu’il ressort des différents avis exprimés que les mesures de compensation proposées dans le cadre du seul projet, à savoir la reconversion d'une parcelle labourée d'environ 3 hectares et la restauration de certaines portions de deux ruisseaux, pour améliorer la fonctionnalité hydrologique du secteur ainsi que l'acquisition et la gestion extensive d'1,5 hectare de prairie humide en vue de reconstituer à long terme une zone humide remarquable, sont incomplètes en ce qu'elles ne permettent théoriquement de compenser globalement que 77 % des fonctionnalités des zones humides perdues. Elles sont également incertaines en ce que les modalités exactes selon lesquelles devaient être assurées, non seulement la maîtrise foncière des terrains concernés mais aussi l'efficacité technique des mesures envisagées pour rétablir ces fonctionnalités perdues ainsi que les habitats dégradés de la faune patrimoniale, ne sont pas explicitées dans le dossier, où ne figure qu'une simple mention relative à la recherche, en cours, d'autres sites de compensation afin de pallier l'impact résiduel du projet sur la faune concernée.
Le projet éolien est accompagné de mesures de compensation liées aux enjeux environnementaux, consistant notamment à maintenir et restaurer des landes, à créer des mares, à favoriser les phases matures des peuplements forestiers par des îlots de sénescence et des arbres sénescents isolés pour favoriser le développement de gîtes favorables, et à réaliser des boisements de compensation, afin de compenser le défrichement de 11,4 hectares, sur une surface de 12,25 hectares, en prévoyant des boisements de feuillus en continuité avec la forêt existante. L’autorité environnementale indique que le volet faune-flore fait l'objet d'une expertise complète et remarquablement structurée mais qu'au final, l'évaluation ne permet pas de garantir totalement l'absence d'impact résiduel et qu'il sera nécessaire de suivre l'évolution des effectifs d'espèces à enjeux. Des mesures de suivi des populations et des mortalités sont néanmoins prévues sur une période de quinze ans.
Le commissaire enquêteur a émis un avis favorable à la demande de défrichement en relevant que cette opération, d'une surface limitée, n'aura pas d'impact sur le paysage, que les impacts sur le milieu naturel ont bien été pris en compte, que les mesures d'évitement et de réduction des impacts ont été prévues en nombre et en qualité pendant toute la durée des travaux, que des mesures spécifiques ont été prévues pour éviter les impacts sur les eaux et zones humides et que ce défrichement fera l'objet d'un reboisement de compensation en essences forestières de qualité. Le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSPRN) de Bretagne a rendu un avis défavorable à l'implantation de parcs éoliens dans les espaces boisés à forte naturalité, qui jouent un rôle important pour la biodiversité, en soulignant que « le faible taux de boisement de la Bretagne et le nombre important de petits massifs sont en contradiction avec le développement de l'éolien en forêt ». Cependant, il n'a ainsi émis qu'une position à caractère général sans se prononcer sur le parc éolien litigieux. Dans ces conditions, compte tenu en particulier des mesures d'évitement, de réduction et de compensation, le préfet n'a pas commis d'erreur en délivrant l’autorisation.
Le projet en question comporte la destruction de plusieurs hectares de forêts matures et porte atteinte à l'habitat particulier de plusieurs espèces protégées. Au titre des mesures de compensation, l’arrêté prévoit d'une part, le reboisement d'une surface deux fois supérieure à celle défrichée, à laquelle s'ajoutent 5 hectares supplémentaires, dans l'agglomération d'Evreux et en continuité de massifs existants, et d'autre part, la création de gîtes de substitution dans la forêt d'Evreux et dans les ouvrages de franchissement, un suivi régulier des populations de chiroptères et la signature de conventions entre le maître d'ouvrage et des associations locales de protection des chiroptères. Le maître d'ouvrage a tenu compte de l'avis défavorable du CNPN en proposant, d'une part, une nouvelle mesure de compensation, consistant en la création d'au moins deux hectares d'îlots de sénescence ou de vieillissement en forêt d'Evreux, et d'autre part, une mesure de gestion tenant à la mise en œuvre d'une gestion de boisements vieillissants pour la création et le maintien d'arbres le plus âgés possible afin de favoriser les cavités prisées par le Murin de Bechstein. Ainsi, les mesures de compensation sont jugées suffisantes.
Le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel d'Alsace a indiqué, dans son avis sur le projet, que ce dernier « ne présente pas les qualités méthodologiques, scientifiques et l'objectivité requises » et « présente des faiblesses méthodologiques et scientifiques, minore les enjeux écologiques du site ainsi que les impacts du projet sur la faune et la flore, et ne prévoit en conséquence pas les mesures de compensation adaptées ». L'autorité environnementale a pour sa part indiqué dans son avis que l'étude « est beaucoup plus affirmative que démonstrative » et que « concernant la prise en compte du (...) Grand Tétras, le dossier de défrichement ne permet pas de conclure que des mesures de précaution suffisantes seront mises en œuvre (...) ». La société n’apporte aucun élément probant de nature à contester sérieusement les constats de ces deux instances.
Il est prévu au titre de mesure de compensation, l'acquisition ou la maîtrise foncière d'une surface de 107,1 hectares de terrains de compensation, sur lesquels la région mettra en œuvre une gestion aux fins de développer et de maintenir les populations des espèces protégées concernées par la dérogation et au titre des mesures d'accompagnement, l'adoption sur les surfaces concernées par les mesures de compensation, d'un arrêté de protection du biotope. La surface des mesures de compensation est conforme aux réserves de l'avis du Conseil national de protection de la nature, à l'avis du directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement et au dossier de demande de dérogation. Une convention de sécurisation foncière a été conclue concernant les terrains qui n’appartenaient pas encore à la région. Ces mesures sont suffisantes.
Le rapport de présentation du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques, en date du 25 novembre 2008, mentionne que la réalisation du projet aurait pour effet direct la destruction de 7,6 hectares de zones humides et entraînerait une dégradation indirecte d'une surface plus importante. Le rapport d'expertise, établi par le conseil général de l'environnement et du développement durable en janvier 2009, indique qu'eu égard au fonctionnement particulier des tourbières, qui doit être apprécié dans une approche globale et qui est impacté par de multiples causes, l'ensemble de cet habitat présent sur le site est susceptible d'être menacé. Il ressort de ces deux documents, sur lesquels le préfet pouvait s'appuyer sans être tenu de les annexer à sa décision, que les mesures de compensation prévues par le dossier de demande d'autorisation ne sont pas de nature à permettre la reconstitution d'une surface de zones humides équivalente à celle détruite. La destruction d'une surface importante de zones humides induite par le projet entraînerait ainsi une perte définitive. Dans ces circonstances, le préfet des Pyrénées-Orientales, qui n'avait pas à tenir compte du rapport entre la superficie de zones humides affectée et celle du site, a pu estimer que les incidences du projet n'étaient pas compatibles avec l'objectif de préservation et de restauration des zones humides défini par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux Adour-Garonne.
L’étude d’impact se borne à affirmer que le projet d’exploitation d’un élevage de porcs ne sera pas susceptible de dégrader la faune et la flore. Cette dernière ne détaille pas les conséquences du projet sur la rivière proche, et n’envisage pas de mesure d’évitement ou de compensation de nature à éviter ou réduire les effets dommageables sur le site Natura 2000 situé à proximité. Les insuffisances de l'étude d'impact avaient d'ailleurs été dénoncées par la DREAL dans ses avis rendus. La direction départementale des territoires déplorait également l’insuffisante étude des impacts en matière d'eau, en soulignant que ce dossier ne mentionne pas les problèmes d'eutrophisation récurrents de cette zone. Les nombreuses prescriptions dont est assorti l'arrêté en litige ne sont pas de nature à pallier l'absence d'étude d'incidences de ce projet sur la zone Natura 2000. Ces insuffisances ont un caractère substantiel, entraînant l’annulation de l’autorisation.
L'implantation des éoliennes, envisagée de part et d'autre d’une autoroute et la réduction de leur nombre par rapport au précédent projet de parc éolien sur le même site, diminuent l'ensemble des impacts sur l'avifaune. Les mesures prévues par la société pétitionnaire, même si elles ont été préconisées par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, ne sont pas de nature à compenser les effets dommageables résultant de la réalisation de son projet et à maintenir la cohérence globale du réseau Natura 2000. Il en va ainsi tant de l'instauration d'un suivi de l'impact du parc éolien, de l'acquisition de la maîtrise foncière de terrains à l'intérieur de la zone de protection spéciale pour y implanter des bandes enherbées, lesquelles ne seront pas suffisamment éloignées des machines pour y créer un espace favorable à l'implantation de l'avifaune, ainsi que de la mise en place de spirales d'effarouchement sur une ligne à haute tension voisine et d'un balisage des éoliennes qui repoussera les oiseaux.
Décisions des tribunaux administratifs
L'arrêté attaqué prévoit, au titre de mesure de compensation, que neuf sites différents feront l'objet d'opérations de restauration de zones humides, pour une surface totale de 19,5 hectares, dans les bassins versants du Tescou et du Tescounet. Les travaux dans ces zones consistent en la restauration de sites perturbés ou en la réhabilitation de sites dégradés. Le juge s’appuie sur les avis du conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), du conseil national de la protection de la nature (CNPN) et de l'autorité environnementale, pour considérer que les mesures de compensation présentent un caractère hypothétique, ne compensent pas réellement la disparition de la seule zone humide majeure de la vallée et qu'il existe une incertitude sur la faisabilité technique de créer des zones humides sur des terrains qui n'en étaient pas auparavant et la localisation de certains sites choisis en dehors de la vallée du Tescou. Dès lors, il retient une insuffisance des mesures destinées à compenser les atteintes portées à la zone humide.